Un souvenir: je suis à Tunis, au début des années 1990, et je donne rendez-vous à un dissident célèbre, le Dr Moncef Marzouki, héros démocratique maghrébin aujourd'hui oublié. Nous sommes ostensiblement suivis par des sbires en civil. Lorsque nous commençons l'interview dans ma chambre d'hôtel, le téléphone se met à sonner toutes les deux minutes, avec un interlocuteur qui raccroche chaque fois: harcèlement «doux» d'un régime qui n'a rien à voir avec ceux d'Hitler ou de Staline, mais qui aime faire savoir qu'il est là, qu'il observe et qu'il sait.
État policier de parti unique sous des dehors de pluralisme, la Tunisie, près de vingt ans plus tard, n'a pas beaucoup changé politiquement. Le président Zine el-Abidine Ben Ali a été réélu, hier, pour un cinquième mandat consécutif. Ses scores précédents oscillaient entre 94,5 % et 99,8 % des suffrages exprimés: on verra cette fois s'il peut encore faire mieux.
La Tunisie: paradis touristique où les autorités organisent des colloques officiels sur le pluralisme et la liberté d'expression, mais où Internet -- peu accessible -- fait l'objet d'une surveillance à un degré qui n'est sans doute dépassé qu'en Chine...
Pourtant, à l'aune de ses voisins africains ou arabo-musulmans, la Tunisie est un pays de croissance économique (4-6 % par an dans les années 2000), de classe moyenne réelle et d'émancipation relative des femmes. Mais cela, au prix d'une démocratie étouffée, d'une presse «aux ordres» et d'un parti unique derrière le paravent pluraliste.
La Tunisie n'est pas seule: au cours de l'année écoulée, le Maroc voisin a vu l'étau se resserrer sur les embryons de presse libre qui ont courageusement émergé depuis une décennie à Casablanca. Plusieurs journaux sont actuellement l'objet d'une reprise en mains par le régime du roi Mohammed VI, fils ramolli du redouté et impitoyable Hassan II.
Un quotidien, Akbar Al Youm, est poursuivi en justice pour lèse-majesté: un de ses caricaturistes a osé se moquer d'un cousin du roi. Le Journal Hebdo est menacé de fermeture parce qu'il a publié des articles qui critiquent la ligne officielle sur le conflit du Sahara occidental. L'éditorialiste d'un autre quotidien, Al Michaal, vient de prendre un an de prison pour avoir osé traiter d'un sujet tabou: les ennuis de santé du roi.
Justification du ministre des Communications dans un article publié dans le journal officiel Le Matin: «Une presse nihiliste réclame le droit de bousculer toutes les sacralités. Cela ne peut continuer!»
Il est de nombreux pays où règnent des mafias -- ou des régimes apparentés. Mais où, en plus, les médias n'ont même pas le droit de le dire...
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Au moins ces dictatures «molles» du Maghreb laissent-elles au peuple quelques morceaux de la croissance économique. C'est plus rare en Afrique subsaharienne, où -- sans mauvais jeu de mots -- 2009 a été une année noire.
Élections législatives, la semaine dernière, au Niger, pays de l'uranium et des «sociétés amies» françaises: le parti du président Mamadou Tandja a tout raflé. Et surtout, Tandja a renié sa promesse solennelle -- faite devant Nicolas Sarkozy en mars 2009 -- de «partir la tête haute» en 2010 après deux mandats de cinq ans. Il vient de dissoudre la Cour constitutionnelle et de se donner les pleins pouvoirs... pour annoncer qu'après tout, il se voit bien dans le fauteuil présidentiel pour une deuxième décennie.
Plus à l'ouest, il y a la Guinée-Conakry où le gouvernement -- ou plutôt, les factions tribales et trafiquants de drogue qui en tiennent lieu -- a fait tirer, le 28 septembre, sur une immense foule d'opposants inquiets devant les intentions de son président. Un président qui, à l'instar de son homologue nigérien, prétend se maintenir après avoir promis le contraire...
Et puis, juste dans les 12 derniers mois, il y a la Mauritanie (élection truquée d'un putschiste le 18 juillet dernier), le Gabon (scrutin contesté le 30 août, mais où le gagnant, le «fils Bongo», s'est modestement contenté de 42 % des suffrages dans un système sans second tour). Et Madagascar, où un jeune maire ambitieux, Andry Rajoelina, est allé, en mars, chercher des appuis dans l'armée pour chasser un président réélu deux ans plus tôt.
Depuis une vingtaine d'années, plusieurs pays d'Afrique -- continent de la misère matérielle -- avaient fait le pari qu'une ouverture politique pourrait entraîner avec elle un progrès économique. Aujourd'hui, la désillusion est grande, et les autocrates prennent de moins en moins la peine de se déguiser en démocrates.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
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