Dans ce second volet du bilan, c’est la Françafrique qui est à l’honneur. Nicolas Sarkozy avait promis une “rupture” avec certaines pratiques néocoloniales. Or, rien a vraiment changé entre Paris et ses anciennes colonies.
La scène se passait à Dakar, il y a peu, par une chaude soirée. Un serveur dont le client était assailli par les moustiques s’est exclamé : “Ce ne sont pas des moustiques, ce sont des Français !” Il ne fait pas bon être français en Afrique francophone par les temps qui courent. Alors que le combat pour la démocratie gagne, l’un après l’autre, les pays de la région, la France continue souvent de se ranger, discrètement, du côté des dictateurs présents et futurs. Nicolas Sarkozy avait promis, avant son arrivée à l’Elysée, une rupture dans les relations avec l’Afrique. Mais il apparaît que la France a repris sa vieille habitude de fermer les yeux sur les dirigeants peu fréquentables, afin de préserver ses intérêts sur place, que ce soit dans les mines d’uranium du Niger, dans les champs pétroliers du Gabon ou dans le port en eau profonde de Kribi, au Cameroun.
Dans la région, ce choix d’un camp – celui du pouvoir – par l’ancienne puissance coloniale a provoqué de violentes réactions antifrançaises (attaques contre des intérêts de la France, jets de pierre contre des ressortissants invités à rester chez eux ou à rentrer en France). Les manifestants antigouvernementaux accusent Paris de tirer les ficelles, et les Français ont beau nier, leurs actes confirment souvent ces accusations. Au Gabon, où l’élection d’Ali Bongo [le 30 août] a anéanti l’espoir de mettre fin à quarante années de règne de la famille Bongo, le secrétaire d’Etat à la Coopération Alain Joyandet a assisté aux pompeuses cérémonies d’investiture de Bongo fils, Ali, soutenant devant la presse qu’il fallait lui “donner du temps”. Si, en public, Paris a clamé sa complète neutralité dans les élections, en coulisses, Robert Bourgi, un avocat parisien qui a notoirement accès à l’entourage du président français, a ouvertement soutenu la candidature de son client Ali Bongo. En Afrique, “opposition au pouvoir implique aussi opposition à la France”, affirme Mamadou Diouf, directeur de l’Institut d’études africaines de l’université Columbia, à New York. “Nous nous trouvons en plein paradoxe : le pays champion des droits de l’homme pratique une politique absolument contraire à ses principes”, poursuit-il. Alain Joyandet conteste ce point. Il en veut pour preuve la Côte-d’Ivoire, où le gouvernement français incite à la tenue d’élections qui ont par trop tardé. “La France soutient des institutions et non des candidats”, martèle-t-il.
Pour les dictateurs africains, c’est tapis rouge à l’Élysée
Lorsque, il y a trois ans, Sarkozy avait promis de “nouvelles relations” avec l’Afrique, il avait précisé qu’elles se feraient sur un pied d’égalité, débarrassées des cicatrices du passé. Son premier secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, était allé plus loin encore, souhaitant “signer la mise à mort” des anciennes relations franco-africaines, qualifiées d’“ambiguës” et de “complaisantes”. Mais il n’a pas tardé à perdre son portefeuille, pour avoir froissé le père d’Ali Bongo avec des déclarations contre la corruption. Son successeur, Alain Joyandet, a pris soin de baisser d’un ton. En octobre, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, auteur d’un putsch en Mauritanie et conforté dans les urnes le 18 juillet, a été chaleureusement reçu à Paris, où il s’est fait abondamment photographier aux côtés d’un Sarkozy tout sourire. Même les chefs de la junte militaire guinéenne, mis au ban de la communauté internationale depuis le massacre de civils le 28 septembre, avaient reçu un accueil cordial à Paris moins de deux semaines avant ces événements, alors que les Américains avaient déjà pris leurs distances.
En juillet, Nicolas Sarkozy avait aussi déroulé le tapis rouge à Paul Biya, au pouvoir à Yaoundé depuis 1982. Le président français avait salué le Cameroun comme étant un “pôle de modération” dans la région. Paris veut éviter qu’on s’intéresse de trop près à la corruption des dirigeants africains, qui investissent en France une grande partie de leurs gains. L’ONG Transparency International, qui avait mené une campagne pour dénoncer et récupérer les “biens mal acquis” de trois dirigeants notoirement corrompus – feu Omar Bongo, du Gabon, Denis Sassou-Nguesso, de la république du Congo, et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, de Guinée-Equatoriale – a été déboutée par le procureur de la République française, au motif qu’elle n’était pas habilitée à déposer plainte et que les faits étaient “mal définis”. “Les Africains n’aiment pas la France parce que la France ne les aide pas à choisir librement leurs dirigeants”, explique Achille Mbembe, professeur de sciences politiques et d’histoire dans une université sud-africaine. “Or le processus démocratique est en panne, et ce pratiquement partout.”
Dans la région, ce choix d’un camp – celui du pouvoir – par l’ancienne puissance coloniale a provoqué de violentes réactions antifrançaises (attaques contre des intérêts de la France, jets de pierre contre des ressortissants invités à rester chez eux ou à rentrer en France). Les manifestants antigouvernementaux accusent Paris de tirer les ficelles, et les Français ont beau nier, leurs actes confirment souvent ces accusations. Au Gabon, où l’élection d’Ali Bongo [le 30 août] a anéanti l’espoir de mettre fin à quarante années de règne de la famille Bongo, le secrétaire d’Etat à la Coopération Alain Joyandet a assisté aux pompeuses cérémonies d’investiture de Bongo fils, Ali, soutenant devant la presse qu’il fallait lui “donner du temps”. Si, en public, Paris a clamé sa complète neutralité dans les élections, en coulisses, Robert Bourgi, un avocat parisien qui a notoirement accès à l’entourage du président français, a ouvertement soutenu la candidature de son client Ali Bongo. En Afrique, “opposition au pouvoir implique aussi opposition à la France”, affirme Mamadou Diouf, directeur de l’Institut d’études africaines de l’université Columbia, à New York. “Nous nous trouvons en plein paradoxe : le pays champion des droits de l’homme pratique une politique absolument contraire à ses principes”, poursuit-il. Alain Joyandet conteste ce point. Il en veut pour preuve la Côte-d’Ivoire, où le gouvernement français incite à la tenue d’élections qui ont par trop tardé. “La France soutient des institutions et non des candidats”, martèle-t-il.
Pour les dictateurs africains, c’est tapis rouge à l’Élysée
Lorsque, il y a trois ans, Sarkozy avait promis de “nouvelles relations” avec l’Afrique, il avait précisé qu’elles se feraient sur un pied d’égalité, débarrassées des cicatrices du passé. Son premier secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, était allé plus loin encore, souhaitant “signer la mise à mort” des anciennes relations franco-africaines, qualifiées d’“ambiguës” et de “complaisantes”. Mais il n’a pas tardé à perdre son portefeuille, pour avoir froissé le père d’Ali Bongo avec des déclarations contre la corruption. Son successeur, Alain Joyandet, a pris soin de baisser d’un ton. En octobre, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, auteur d’un putsch en Mauritanie et conforté dans les urnes le 18 juillet, a été chaleureusement reçu à Paris, où il s’est fait abondamment photographier aux côtés d’un Sarkozy tout sourire. Même les chefs de la junte militaire guinéenne, mis au ban de la communauté internationale depuis le massacre de civils le 28 septembre, avaient reçu un accueil cordial à Paris moins de deux semaines avant ces événements, alors que les Américains avaient déjà pris leurs distances.
En juillet, Nicolas Sarkozy avait aussi déroulé le tapis rouge à Paul Biya, au pouvoir à Yaoundé depuis 1982. Le président français avait salué le Cameroun comme étant un “pôle de modération” dans la région. Paris veut éviter qu’on s’intéresse de trop près à la corruption des dirigeants africains, qui investissent en France une grande partie de leurs gains. L’ONG Transparency International, qui avait mené une campagne pour dénoncer et récupérer les “biens mal acquis” de trois dirigeants notoirement corrompus – feu Omar Bongo, du Gabon, Denis Sassou-Nguesso, de la république du Congo, et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, de Guinée-Equatoriale – a été déboutée par le procureur de la République française, au motif qu’elle n’était pas habilitée à déposer plainte et que les faits étaient “mal définis”. “Les Africains n’aiment pas la France parce que la France ne les aide pas à choisir librement leurs dirigeants”, explique Achille Mbembe, professeur de sciences politiques et d’histoire dans une université sud-africaine. “Or le processus démocratique est en panne, et ce pratiquement partout.”
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