mercredi 4 novembre 2009

Justice : Maître Baudoin dénonce une «décision politique» dans l'affaire des Biens mal acquis

Alors que la Cour d'appel de Paris vient de rejeter l'ouverture de l'information judiciaire sur l'affaire des «Biens mal acquis» de trois chefs d'Etats d'Afrique centrale, la politique de rupture avec la Françafrique de Nicolas Sarkozy est de plus en plus remise en question. Dans une interview accordée le 2 novembre à RFI, que nous publions in extenso, le président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme(FIDH), maître Patrick Baudoin, revient sur la question de l'indépendance des magistrats français et les grands dossiers en cours qui montrent l'incapacité du président français à tenir ses promesses de rupture avec les réseaux d'influence de la Françafrique.
 
© D.R. Sarkozy peut-il vraiment opérer la rupture avec la Françafrique ?
 
Jeudi dernier, la Cour d’appel de Paris s’est opposée à l’ouverture d’une enquête sur les biens de trois chef d’Etat africain en France. Est-ce une décision politique a vos yeux ?

Oui, je pense que c’est une décision tout a fait politique, même si, comme il est habituel, elle revêt un habillage juridique et procédural. Ce qu’il faut rappeler c’est qu’il y a un travail très substantiel qui a été fait par les policiers enquêteurs dont le résultat a été accablant pour les chefs d’Etat africains. C'est-à-dire que des acquisitions de biens immobilier à Paris et des voitures de luxe pour des sommes considérables qui ne pouvaient provenir de leurs simples revenus affichés officiels de chefs d’Etats. Donc Transparency international a déposé une plainte avec constitution de partie civile. Cette plainte a été acceptée par le juge d’instruction. Il y a eu un appel du parquet et la chambre d’instruction maintenant vient dire non, que l’appel n’est pas recevable parce que Transparency international ne subit pas de préjudices personnels, alors que l’objet de l’association c’est de lutter justement contre la corruption.

Alors s’il s’agissait d’une décision du parquet on pourrait parler plus facilement peut être d’une décision politique, mais là ce sont des juges du siège qui ont statué. Est-ce que vous voulez dire que les magistrats de la Cour d'appel de Paris sont aux ordres ?

Je pense que malheureusement nous avons des exemples d’une sorte de soumission volontaire ou involontaire, je ne sais pas, une sorte d’auto censure pourrait-on dire si on parlait de la part des magistrats de la Chambre des instructions de Paris.

Ce n’est pas la première fois, alors certes ce ne sont pas des magistrats présumés indépendants, mais il faut savoir que il y a un pouvoir de nomination. En réalité, il est quand même assez facile pour Paris de placer à des postes clés de la magistrature des personnes qui lui sont plutôt favorables pour ne pas dire soumise.

Mais maître Baudoin, on peut vous rétorquer que mardi dernier, au tribunal correctionnel de Paris, c’est le contraire qui s’est produit puisqu’un juge, Jean Batiste Parlos, a condamné Pierre Falcon et Charles Pasqua à la prison ferme alors que l’Etat avait essayé de les protéger.

Oui, ce n’est pas contradictoire je pense. Il y a des magistrats qui ont des capacités de résistance beaucoup plus fortes. Vous parlez de monsieur Parlos, s’il est connu pour être un magistrat parfaitement indépendant, il y en a heureusement beaucoup d’autres. Il ne s’agit pas de dire que tous les magistrats sont des magistrats aux ordres ce n’est pas cela.

Pensez-vous que dans le procès de l’Angolagate, en appel, les juges risquent d’être moins indépendants que le juge de première instance ?

On peut imaginé que les services de la présidence de la Cour d’appel de Paris essayent de faire distribuer l’affaire devant une composition de juridiction de la Cour d’appel qui peut-être sera orienté différemment ou peut-être moins indépendante, oui, ce n’est pas exclu.

Vous voulez dire que cela va se jouer sur le choix des magistrats, c’est ça ?

Si vous voulez, Paris est composée de nombreuses chambres et les affaires, il faut bien les placer devant certaines de ces chambres. Donc on peut essayer d’orienter le choix et aller vers une composition moins indépendante, plus favorable, plus docile.

Alors revenons a l’affaire des Biens mal acquis. Quand on interroge Denis Sassou Nguesso sur cette affaire, il a coutume de dire : Pourquoi vous intéressez-vous à mon patrimoine immobilier en France et pas à celui des oligarques Russes, des Emires du Golfe ?

Je vous dirais qu’il a tort et raison à la fois. Il a raison parce que je crois qu’on devrait aussi s’intéresser justement à certaines fortunes tout aussi mal acquises provenant d’autres pays du Golfe, Russie et ailleurs. Ce qui est choquant c’est une sorte de discrimination dans les poursuites ou dans la médiatisation de certains de ces dossiers. Moi je suis pour qu’on poursuivent également sur d’autres pays, bien évidemment autres que le continent africain, mais c’est pas pour autant que cela doit conférer l’impunité aux chefs d’Etat africains. On ne peut pas en tirer cette conséquence, il faut essayer de poursuivre tout le monde et ne pas renoncer à poursuivre certains.

Quel est le président le plus interventionniste dans les affaires de justice, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy ?

Le président Sarkozy, quand il est arrivé au pouvoir, a paru vouloir prendre ses distances justement avec ce qui s’était passé avant lui et en particulier sur la présidence de Jacques Chirac. Bon, il est très vite entré dans les rangs si l’on prend par exemple l’affaire du Beach de Brazzaville, qui a donné lieu, il ne faut pas l’oublier, au massacre d'environ 350 personnes en 1999 a Brazzaville. J’aimerais, puisque c’est vraiment une affaire emblématique, que le parquet de Meaux fasse tout pour faciliter aujourd’hui l’évolution de l’instruction, alors qu’il fait tout l’inverse.

Oui parce que la procédure court toujours ?

Oui la procédure court toujours.

Malgré le procès qui a eu lieu a Brazzaville ?

Alors il y a eu effectivement un procès fantoche à Brazzaville qui était un des procès le plus extraordinaire que l’on puisse connaître puisque les autorités de Brazzaville, tout simplement pour essayer de faire pièce à la procédure qui avait été intentée en France, uniquement pour cela parce qu’elle n’avait rien fait auparavant, ont imaginé de tenir un procès à Brazzaville, donc de poursuivre alors un certain nombre des présumés coupables de ce massacre, mais pas pour les condamner, cela a été fait pour les acquitter. C’est quand même rare que l’Etat poursuive pour acquitter !

Et donc pour la procédure en France, qui se poursuit parce que ce procès de Brazzaville ne pourrait y faire entrave, nous avons gagné devant la Cour de cassation qui a validé la procédure ; donc elle est revenue a Meaux. Je sais pas comment ça ce passe au niveau de la distribution des dossiers entre les juges d’instruction, mais le dossier a été distribué auprès d’une juge d’instruction, dont sans vouloir l'offusquer, je dirais qu’elle a brillé surtout en ne faisant rien depuis plus d’une année. Je lui est rendu visite au début, j’ai été très surpris de sa méconnaissance de ce dossier, depuis lors je sais pas si elle a commencé à tourner quelques pages et à en assimiler une partie, ce que je peux dire c’est qu’elle n’a rien fait. Donc je dis à monsieur Sarkozy que là c’est du concret. Vous nous dites : Fini la Françafrique, je suis contre l’impunité,... démontrez-le et faisons avancer cette affaire du Beach de Brazzaville». 
 
Publié le 03-11-2009    Source : gaboneco     Auteur : gaboneco   

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