Plusieurs études sur les petits dragons du Sud-Est asiatique démontrent qu’en dix ans la pratique des pots-de-vin a coûté à ces États autant que leur dette. Dans de nombreux pays d’Afrique, les dessous-de-table que les entreprises privées doivent payer aux fonctionnaires pour décrocher une commande atteignent parfois les 35% du contrat. Le Gabon n’est pas en reste et son classement dans la liste des pays corrompus est peu honorable. La réalité démontre en effet que tous les secteurs de la société sont touchés et la création d’un ministère chargé de lutter contre ce cancer économique de même que l’existence des ONG telles que “Publiez Ce que vous Payez” ou “On ne m’achète pas - Transparence Gabon” est symptomatique d’une prise de conscience et d’une volonté d’en sortir. On dit cyniquement de la corruption qu’elle est, avec la prostitution, le plus vieux métier du monde. Si la prostitution représente une mise en location d’un corps, la corruption est la mise en vente d’une conscience. Descente dans l’univers de ces gabonais qui font commerce de leur intégrité.
Prononçant un discours, le 2 décembre dernier, à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire de son accession au pouvoir, le président de la République gabonaise, Omar Bongo Ondimba, avait, entre autres, fustigé les “détournements”, la “course pour l’enrichissement illicite”, la “corruption” et “l’impunité ambiante” dans la haute fonction publique.
Non sans avoir souligné que ces maux ont été autant de freins pour le développement du pays, le chef de l’État donnait là un signal pour que s’accentue la lutte contre ces calamités. Ce qui est d’autant plus pertinent que, depuis près d’une décennie, les institutions financières internationales et l’Union européenne font de la transparence dans la gestion économique et de la bonne gouvernance, des conditions essentielles à l’aide au développement.
Le Gabon, à ce propos, ne jouit pas d’une position reluisante. Malgré la création en 2002 d’un ministère du Contrôle d’État, des Inspections, de la Lutte contre la Corruption et de la Lutte contre l’Enrichissement illicite, le pays figurait en 2005 dans la catégorie des pays ayant un niveau de corruption endémique avec une note inférieure à 3/10, selon L’ONG Transparency International. Cette organisation, qui établit le palmarès mondial du degré de corruption au sein des administrations publiques et de la classe politique de différents pays, avait classé le Gabon, en 2006, au 11e rang des pays les plus corrompus d’Afrique.
Le ministère du Contrôle d’État, des inspections, de la Lutte contre la Corruption et de la Lutte contre l’Enrichissement illicite a mis en place, depuis 2003, une Direction générale de la Lutte contre la corruption et une Commission nationale de Lutte contre l’Enrichissement illicite qui s’est fait remarquée ces derniers temps par la publication de la liste des dépositaires de l’autorité de l’État qui ont refusé de se soumettre à la formalité de déclaration de fortune.
Ces listes, publiées dans le quotidien “L’union” ont fait jaser certains et fait rire ceux qui estimaient, à l’instar de Gérard A., étudiant, que “les vrais corrompus du pays n’y figuraient pas. Il aurait fallu donner l’exemple en publiant les noms des caïds, connus de tout le monde, qui se sont toujours montrés intouchables. La publication de ces listes tenait de la diversion pure.”
Les 3 et 4 décembre 2003 avait eu lieu à Libreville un séminaire atelier visant à préparer le “Programme national de gouvernance et de lutte contre la corruption”. Les travaux de ce séminaire avaient permis d’officialiser quelques données sur l‘ampleur de la corruption au Gabon. Notamment à travers la communication de M. Florent-Georges Rerambyah alors directeur général de la Lutte contre la corruption, qui avait décliné, entre autres, la nature et les causes de la corruption, la fréquence de corruption, les secteurs d’activités exposés à la corruption. Il s’agissait des résultats d’une pré-enquête qui devait être approfondie mais ne l’a jamais été. Toutes choses qui démontrent l’existence à grande échelle de la corruption au Gabon ainsi que la volonté des pouvoirs publics à lutter contre ce fléau.
La notion de corruption
La corruption, il faut l’avouer, n’est pas facile à circonscrire en ceci que ses acteurs trouveront toujours à redire. Comment en effet établir une ligne de démarcation entre la corruption et l’obligeance ? A partir de quel moment peut-on dire qu’il y a un corrupteur et un corrompu ?
D’autant plus que ceux qui sont concernés appartiennent à toutes les sphères d’activité et disposent de tout un arsenal d’arguments pour soutenir que le corrompu ne s’est pas enrichi personnellement ou que les intentions du corrupteur n’étaient pas, à l’origine, de nature frauduleuse. On peut toutefois dire que la corruption est l’utilisation et l’abus de pouvoir à des fins privées. C’est une pratique illicite traitée dans les articles 144 et 146 du Code pénal gabonais.
La notion comporte de nombreux autres aspects, ainsi que le démontre la Banque mondiale qui retient les formes suivantes de corruption :
- Les “dessous de table” qui sont des versements à des responsables officiels afin qu’ils agissent plus vite, de façon plus souple et plus favorable ;
- La “fraude” qui consiste en la falsification de données, de factures, la collusion etc. ;
- “L’extorsion” qui est l’obtention d’argent par la coercition ou la force ;
- Le “favoritisme” qui s’inscrit dans le cadre du népotisme ou de la collusion et qui consiste à favoriser des proches ;
- Le “détournement”, défini comme le vol de ressources publiques par des fonctionnaires ;
Même si on la rencontre dans tous les secteurs de la société et à tous les niveaux, la corruption a pour lieu d’élection l’administration publique.
Pour illustrer ce qui précède, Alain O, entrepreneur, assure par exemple que “la procédure de règlement par le Trésor public d’une facture nécessite au préalable de nombreux visas délivrés au ministère des Finances. Il faut, à chaque étape donner un peu d’argent à celui qui doit apposer le cachet et la signature. Faute de quoi, votre facture se retrouve bloquée. Cette pratique s’est institutionnalisée et il est devenu normal sinon obligatoire de glisser quelques billets dans le dossier pour le voir passer les différentes étapes. Cet argent ne va nulle par ailleurs que dans les poches du fonctionnaire à qui on le donne.”
La corruption peut donc concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, etc.
Siméon Ekoga, président du Rassemblement Démocratique du Peuple Gabonais (RDPG) affirme que “la passation de marchés publics se passe de façon occulte, sans autre forme de procédure. Et certains élus qui sont souvent associés à ces dossiers, à l’instar des grands travaux ne sont pas exempts de tout soupçon bien au contraire, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère.”
Corruption passive et corruption active
On distingue la corruption active de la corruption passive. La corruption active consiste à proposer de l’argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d’un avantage indu. On n’en voudra pour exemple que les taximen qui refusent de se conformer à la réglementation en matière de transport en commun qui, pour éviter la fourrière, proposent aux policiers, à chaque contrôle, un petit billet. Mais, il en va de même pour le policier qui, ayant constaté une infraction, demande “quelque chose” pour laisser le taxi circuler.
La corruption passive consiste à accepter l’argent, mais aussi à proposer ou à créer des conditions de paiement. Un exemple classique au Gabon est celui des présentateurs de télévision qui acceptent quelques billets de 10 000 francs en vue de recevoir sur leur plateau des gens qui tiennent vraiment à y passer ou encore des journalistes qui acceptent “l’argent du taxi” qui les obligera à traiter et publier un reportage.
Parfois la corruption est à la fois active et passive. A cet effet, l’exemple de la fiche bleue, qui permet l’introduction d’un dossier d’intégration à la Fonction publique, fera foi. De nombreuses personnes affirment l’avoir acheté alors qu’il s’agit d’un formulaire non payant. Ceux des fonctionnaires qui sont censés la fournir aux requérants en déclarent la pénurie afin de la monnayer. Au-delà de la vente de fiche bleue, le ministère de la Fonction publique est le théâtre de la corruption aussi bien passive qu’active.
Une secrétaire à la Primature s’est dernièrement plaint de ce qu’une de ses connaissances à ce ministère s’était accaparé son dossier d’avancement en vue de lui extorquer de l’argent. “Je ne lui avais rien demandé. Il m’avait simplement vu dans les couloirs du ministère et a fini par savoir que j’y avais introduit un dossier. A ma grande surprise, il m’a téléphoné pour me dire qu’il a récupéré le dossier pour m’aider à accélérer la procédure. En réalité, il l’a mis sous son coude pour me faire croire à quelques difficultés et au bout d’un certain temps, il me harcelait au téléphone pour que je “paye le Coca” à son collègue qui, soi-disant, bloquait mon dossier et qui n’était autre que lui-même. Je me suis résignée à lui donner 20 000 francs pour qu’il ne me complique pas davantage les choses.”
Panorama de la corruption au Gabon
Abus de biens sociaux, détournements de fonds, enrichissements personnels, emplois fictifs ou délits d’initiés sont les formes de corruption les plus répandues aujourd’hui et la liste de personnalités politiques ou publiques condamnées ou mis en examen s’allonge au fil du temps : Hervé-Fulgence Ossami, Ngoleine Ossouka, Alain-Claude Billié Bi Nzé, Minko mi Esonne…
Devant cette avalanche d’“affaires”, l’opinion publique gabonaise fait dans l’ironie avec des phrases du genre “le mouton broute là où il est attaché. Mais il ne faut pas brouter la corde” ou verse dans la résignation à travers les “on va encore faire comment. C’est eux-mêmes eux-mêmes”. Il est aussi vrai que depuis l’ouverture démocratique intervenue en 1990, la presse n’a pas arrêté de mentionner ou de dénoncer des cas de corruption mais très peu de condamnations ont été constatées. Jean-Bédel Moussoudou, substitut du procureur de la République, assure en effet que les plaintes pour corruption n’arrivent presque jamais au tribunal.
On ne saurait donc tenir un inventaire sur la condamnation de délits tels que la corruption, le trafic d’influence, l’ingérence ou la prise illégale d’intérêt. De même, les différents rapports annuels de la Cour des comptes ne font pas mention de cas de corruption.
Pourtant, la corruption gangrène aujourd’hui presque toutes les couches de la société. Selon ce qu’on peut lire de l’enquête sus-citée, réalisée par M. Florent-Georges Rerambyah, les secteurs les plus touchés par la corruption sont les organisations internationales, la Direction générale des prix, les Travaux publics et les douanes tandis que le “pourcentage à verser pour l’obtention d’un marché public est évalué de 10 à 20% voire de 40 à 50%”.
Le rapport Rerambyah relève que les principales causes de la corruption sont le faible niveau des salaires, l’impunité, l’absence de rigueur dans la gestion des comptes de l’État. Au titre des procédés généralement employés par les usagers d’une administration pour solliciter un avantage illégal, ledit rapport énumère le concours d’une relation haut placée, la recherche et l’utilisation d’une relation (ami, frère…) ou la médiation d’un agent. D’un autre côté, les agents de la fonction publique ou du secteur privé peuvent, pour obtenir un bakchich ou autre avantage, faire attendre un dossier, solliciter une récompense ou harceler sexuellement un client.
Les exemples ne manquent pas pour illustrer ces différents procédés de corruption. On pourrait commencer par l’université Omar Bongo où il a été relaté qu’en 2005, un professeur de linguistique générale à l’Université Omar Bongo exigeait à chacun de ses étudiants une somme de 2 000 francs CFA pour obtenir ses cours polycopiés qui, normalement, devaient être dictés. Ledit professeur est allé jusqu’à donner une date butoir au-delà de laquelle tout étudiant qui n’aurait pas versé cette somme devait être rayé de ses effectifs.
Le business des “petits chefs”
L’obtention ou le renouvellement de pièces d’identité, est l’un des lieux de prédilection de la corruption. Le 14 janvier dernier, Thierrey Minlame Moto, un agent du service social de la Direction générale de la documentation et de l’immigration (DGDI) a été mis aux arrêts pour avoir a été identifié comme le cerveau d’un réseau de faussaires et trafiquants de documents administratifs, notamment de passeports. Une somme de 20 000 FCFA était exigée pour le renouvellement d’un passeport, le double pour un traitement express et pour les demandes de visas et premiers établissements de passeport.
Plus récemment, de nombreux agents de la préfecture de Bitam ont été arrêtés pour falsification régulière de documents d’État-civil contre des sommes allant de 5 000 à 100 000 francs CFA.
Le 14 janvier dernier, le ministre de la Défense, Ali Bongo Ondimba, a condamné publiquement et mis en garde les agents des forces de police et les éléments de l’armée qui se laissent corrompre ou rackettent les citoyens. On recense en effet au sein des forces de l’ordre les cas de corruption les plus inédits. Il y a quelques années, par exemple, Jean-Hilaire Pambou, repris de justice récidiviste, offrit un casse-croûte et une cuite à trois gendarmes qui mirent aux arrêts une ex-amante refusant de renouer avec sieur Pambou.
Les trois maréchals de logis, Joseph Owari, Martin Mbera et Mbena Guemi, furent entendus et sévèrement punis par leur hiérarchie non sans avoir remboursé les 500 000 francs CFA qu’ils avaient dérobés lors du rapt de Claudine Mboumba, dans un domicile où celle-ci travaillait comme dame de ménage.
Un journaliste a confié à l’Agence de presse africaine (APA) que la corruption est monnaie courante dans les milieux du football gabonais. ‘‘Elle se manifeste notamment par l’achat des décisions de l’instance fédérale, le trucage des matchs.’’ En 2003, l’équipe de football Jeunesse sportive de Libreville (JSL) s’était fait payée pour se faire battre par l’Union sportive de Bitam (USB). Les joueurs avaient reçu 25 000 francs CFA chacun et les dirigeants beaucoup plus. Le scandale ayant éclaté, Albert Rismo Obiang, entraîneur de l’USB, et Brice Mondambo, son gardien des buts, durent être radiés de l’équipe.
Mais, le plus grave, est la part invisible de la corruption, celle dont la presse ne parle que rarement ou dont elle ne peut pas parler, celle qui touche uniquement les administrations publiques et l’argent des contribuables. Si les chefs d’entreprise condamnés à la prison ferme sont nombreux, on ne peut pas en dire autant des politiques ou des hauts fonctionnaires coupables des méfaits peut-être encore plus graves. Car ces derniers bénéficient de relations, sont protégés par l’immunité parlementaire et peuvent se cacher derrière l’opacité des fonds publics. Le cas du milieu scolaire
Les MST (Moyennes sexuellement transmissibles), qui participent de la corruption ont été suffisamment évoquées (Cf. Business Gabon N° 6) pour ne pas être reprises ici. Mais le milieu scolaire enregistre d’autres types de corruption. Notamment pour l’inscription des élèves dans les établissements scolaires publics trop sollicités.
Elle s’étend jusqu’à l’achat de diplômes. Durant l’année scolaire 2002-2003, de nombreux candidats au baccalauréat affirmaient qu’on “ne rate le bac à Oyem que si on n’a pas d’argent”. Un centre d’examen national y avait nouvellement été créé. Les informaticiens qui y avaient été affectés, introduisaient, en contrepartie d’argent, des noms dans les listes proclamant le succès aux examens. Ce, même au mépris du niveau requis pour l’accession à ces examens.
“Il suffisait d’être connu du Secrétaire général du ministère d’alors, Monsieur Médéné M’ekwa Félicien, ou des informaticiens, ou alors d’avoir de l’argent pour obtenir son bac même avec un niveau de 6è”, affirme un agent du ministère de l’Éducation nationale. Cette vente de diplômes n’était toutefois pas l’exclusivité de la ville d’Oyem.
D’autres centres de baccalauréat enregistrèrent les mêmes cas de corruption massive et la presse fit grand bruit de l’arrestation, en juin 2003, de MM. Rufin Ango Gwa, Albert Mouenbo, Thierry Bevam, Marc Essono, Bertrand Ndong, Fabien Obiang Abessolo, tous informaticiens alors chargés de la centralisation des résultats des différents centres d’examen du B.E.P.C à Libreville et à l’intérieur du pays. La plupart d’entre eux reconnurent durant leur interrogatoire avoir perçu, des parents d’élèves et de certains candidats libres, des sommes allant de 100 à 350 000 francs CFA.
Le coût de la corruption
Il est extrêmement difficile de savoir combien coûte la corruption à l’État gabonais. Si la Direction générale des marchés publics ne saurait dire le montant des factures concernant les marchés publics qui échappent à son contrôle, comment savoir exactement combien coûte au contribuable la corruption dans les organismes publics et parapublics ?
L’exemple du seul marché, problématique, de fourgons blindés du Trésor public, surfacturé à 3,6 milliards francs alors qu’on estime aujourd’hui leur coût réel à environ 800 millions, donne une idée de l’argent que peut perdre l’État gabonais. De même, la pratique bien connue du “10%”, oblige certaines entreprises à procéder également à des surfacturations sans lesquelles elles mettraient très vite la clé sous le paillasson.
On ne saurait évoquer le coût de la corruption politique qui n’a pas été évoquée dans le présent article, mais on sait qu’à ce niveau circulent sous la table des sommes vraiment très imposantes qui ne sont pas moins extraites de l’argent public. Quelle est la part de cet argent utilisé pour des rémunérations occultes, frais divers, enrichissement personnel ou pour des emplois fictifs tels qu’ils ont été révélés au plus fort moment de l’Affaire Elf ?
Les organismes de lutte contre la corruption
La multiplication des affaires et le mauvais classement du Gabon dans les comparaisons internationales sur le degré de corruption de chaque pays ont poussé les autorités publiques à renforcer les mesures de lutte contre ce fléau et à multiplier les services et les organismes en charge de cette lutte.
Ainsi, à part la Cour des Comptes et le ministère du Contrôle d’État, des Inspections, de la Lutte contre la Corruption et de la Lutte contre l’Enrichissement illicite qui a mis en place la Commission nationale de Lutte conte l’Enrichissement illicite et la Direction générale de lutte contre la corruption, on devrait compter sur la Direction générale de la recherche (DGR), la police judiciaire et sa hiérarchie, la magistrature. Tous ces organismes dépendent de l’État et sont financés avec de l’argent public.
L’impartialité de ces services ne saurait être remise en question mais, lorsque de plus en plus d’affaires sont liées à l’argent public et concernent les représentants des administrations, il serait souhaitable de pouvoir compter aussi sur un organe privé, indépendant, au service de la Société civile, c’est à dire des contribuables.
C’est à ce propos que les ONG telles que “On ne m’achète pas -Transparence Gabon” ou “Publiez Ce que vous Payez”, adossé à l’Initiative de transparence dans les industries extractives (EITI), sont nécessaires dans le pays et ne devraient pas être regardées comme des ennemis du Gabon. Si un contrôle permanent des pouvoirs avait existé, les scandales dont on parle actuellement au Gabon ne se seraient peut-être jamais produits.
Les formes de corruption
La corruption est définie comme le fait d’“abuser d’une charge publique à l’avantage du secteur privé, d’un particulier ou d’un groupe à qui l’on doit allégeance.” Elle se manifeste lorsqu’un agent public accepte, sollicite ou extorque un paiement, ou lorsque des agents privés offre un paiement pour contourner la loi à des fins concurrentielles ou personnelles. On répertorie quatre formes étroitement liées de corruption.
La première forme correspond au pot-de-vin et au graissage de patte. Le pot-de-vin est le paiement que demandent des agents publics (ou offert par des agents privés) en échange de faveur comme un marché public. Le graissage de patte est l’argent payé à des fonctionnaires pour effectuer le travail pour lequel ils sont déjà payés, comme la délivrance d’un permis de conduire.
Au second rang figure la petite et la grande corruption. La petite corruption est la collusion entre un fonctionnaire et un membre du public pour contourner le système à propos de transactions relativement moins importantes. Elle implique donc majoritairement des fonctionnaires subalternes. Par contre, la grande corruption correspond à la subversion du système par de hauts fonctionnaires du gouvernement, des ministres et des chefs d’État.
En troisième lieu se trouve la corruption bureaucratique. Il s’agit de l’abus de la latitude des fonctionnaires pour modifier ou contourner des règles et règlements en échange de certains avantages. Elle survient le plus souvent lorsque d’importantes récompenses et pénalités se retrouvent sous le contrôle d’un agent.
Et pour finir, la corruption politique. Il s’agit du trafic d’influence et d’autorité par des dirigeants politiques et peu même englober l’octroi de faveurs, des irrégularités dans les campagnes de financement et la fraude électorale.
Petit lexique de la compromission
Le mot “dessous-de-table” est absolument sournois, cachottier. Il s’agit en général d’une somme d’argent qui vient s’ajouter au montant officiel de la transaction et donc qui échappe à toute taxe. Lorsqu’on parle “d’arroser”, il s’agit de payer des fonctionnaires pour qu’ils ferment les yeux, qu’ils laissent faire, tandis que l’expression “graisser la patte” renvoie au geste de remplir la main. La graisse étant associée à l’idée d’argent, de profit, et par extension de profit illicite.
Comme tout ce qui est interlope, la corruption fait recours à un vocabulaire spécifique, truffé d’allusions. Petit lexique non exhaustif des expressions les plus couramment utilisées dans les actes de corruption.
Bakchich : Mot provenant de l’Empire ottoman. Est utilisé pour désigner un pourboire, un pot-de-vin.
Gilette : Par allusion à un billet tout neuf qui ressemble à une lame de rasoir. Désigne, au Gabon, un pot-de-vin à un journaliste, pour un montant compris entre 5 000 et 50 000 F CFA.
Gombo : Terme d’origine camerounaise qui désigne le fait de monnayer un service normalement gratuit.
Installation : Terme créé par les journalistes du quotidien “L’union” pour désigner un reportage ayant rapporté à son rédacteur plus de 50 000 francs CFA en pot-de-vin.
Intronisation : Également créé par les journalistes de “L’union”. Désigne un reportage alimentaire ayant rapporté 500 000 francs CFA et plus.
Mange-mille : Policier africain véreux cherchant à verbaliser à tout prix.
Mouiller la barbe : Payer un pourboire.
Payer le Coca : Également payer un pourboire.
Saluer le képi du chef : Terme employé par les policiers gabonais pour demander un pourboire à un automobiliste en règle.
Le cas particulier de la corruption judiciaire
Une enquête menée par Transparency international révèle que plus de 30% des Gabonais en contact avec le système judiciaire au cours des 12 derniers mois ont dû verser un dessous de table et que 70% des personnes sondées ont qualifié de corrompu le système judiciaire gabonais. Selon plusieurs personnes ayant compulsé le rapport 2007 de Transparency international, de nombreux exemples qui y sont donnés pourraient trouver quelques similitudes avec le Gabon.
Selon Transparency International, “la corruption judiciaire désigne toute influence indue sur l’impartialité du processus judiciaire, par tout acteur du système judiciaire.”
“Par exemple, un juge peut accepter ou rejeter des preuves pour justifier l’acquittement d’un accusé coupable mais jouissant d’une position politique ou sociale élevée. Les juges et le personnel judicaire peuvent aussi influencer les dates de procès pour favoriser l’une ou l’autre partie. Dans les pays qui n’utilisent pas les comptes rendus intégraux des délibérations, les juges peuvent donner un résumé inexact des procédures judiciaires ou déformer les déclarations des témoins avant de prononcer un verdict acheté par l’une des parties au procès. Les employés de justice de rang inférieur peuvent encore ‘égarer’ un dossier – moyennant finance”
Parlant des pots-de-vins, le même rapport spécifie que ceux-ci peuvent “intervenir à tous les niveaux d’interaction du système judiciaire : les fonctionnaires de justice peuvent extorquer de l’argent pour des tâches qu’ils sont de toute façon tenus de faire, les avocats peuvent exiger des ‘honoraires’ supplémentaires pour accélérer ou repousser une affaire ou pour orienter leurs clients vers des juges connus pour rendre une décision favorable en l’échange d’un pot-de-vin.
Pour leur part, les juges peuvent accepter des pots de- vin pour retarder ou accélérer une affaire, accepter ou rejeter une procédure d’appel, influencer d’autres juges ou, simplement, trancher une affaire dans un sens donné. Les études menées en Inde et au Bangladesh rapportées dans cet ouvrage montrent bien que les renvois interminables de certaines causes poussent les gens à payer des pots-de-vin pour accélérer leur dossier.”
Quand les accusés ou les justiciables doutent déjà de l’honnêteté des juges et de la procédure judiciaire, ils sont beaucoup plus susceptibles de soudoyer les fonctionnaires de justice, les avocats et les juges pour parvenir à leurs fins.
Non sans avoir souligné que ces maux ont été autant de freins pour le développement du pays, le chef de l’État donnait là un signal pour que s’accentue la lutte contre ces calamités. Ce qui est d’autant plus pertinent que, depuis près d’une décennie, les institutions financières internationales et l’Union européenne font de la transparence dans la gestion économique et de la bonne gouvernance, des conditions essentielles à l’aide au développement.
Le Gabon, à ce propos, ne jouit pas d’une position reluisante. Malgré la création en 2002 d’un ministère du Contrôle d’État, des Inspections, de la Lutte contre la Corruption et de la Lutte contre l’Enrichissement illicite, le pays figurait en 2005 dans la catégorie des pays ayant un niveau de corruption endémique avec une note inférieure à 3/10, selon L’ONG Transparency International. Cette organisation, qui établit le palmarès mondial du degré de corruption au sein des administrations publiques et de la classe politique de différents pays, avait classé le Gabon, en 2006, au 11e rang des pays les plus corrompus d’Afrique.
Le ministère du Contrôle d’État, des inspections, de la Lutte contre la Corruption et de la Lutte contre l’Enrichissement illicite a mis en place, depuis 2003, une Direction générale de la Lutte contre la corruption et une Commission nationale de Lutte contre l’Enrichissement illicite qui s’est fait remarquée ces derniers temps par la publication de la liste des dépositaires de l’autorité de l’État qui ont refusé de se soumettre à la formalité de déclaration de fortune.
Ces listes, publiées dans le quotidien “L’union” ont fait jaser certains et fait rire ceux qui estimaient, à l’instar de Gérard A., étudiant, que “les vrais corrompus du pays n’y figuraient pas. Il aurait fallu donner l’exemple en publiant les noms des caïds, connus de tout le monde, qui se sont toujours montrés intouchables. La publication de ces listes tenait de la diversion pure.”
Les 3 et 4 décembre 2003 avait eu lieu à Libreville un séminaire atelier visant à préparer le “Programme national de gouvernance et de lutte contre la corruption”. Les travaux de ce séminaire avaient permis d’officialiser quelques données sur l‘ampleur de la corruption au Gabon. Notamment à travers la communication de M. Florent-Georges Rerambyah alors directeur général de la Lutte contre la corruption, qui avait décliné, entre autres, la nature et les causes de la corruption, la fréquence de corruption, les secteurs d’activités exposés à la corruption. Il s’agissait des résultats d’une pré-enquête qui devait être approfondie mais ne l’a jamais été. Toutes choses qui démontrent l’existence à grande échelle de la corruption au Gabon ainsi que la volonté des pouvoirs publics à lutter contre ce fléau.
La notion de corruption
La corruption, il faut l’avouer, n’est pas facile à circonscrire en ceci que ses acteurs trouveront toujours à redire. Comment en effet établir une ligne de démarcation entre la corruption et l’obligeance ? A partir de quel moment peut-on dire qu’il y a un corrupteur et un corrompu ?
D’autant plus que ceux qui sont concernés appartiennent à toutes les sphères d’activité et disposent de tout un arsenal d’arguments pour soutenir que le corrompu ne s’est pas enrichi personnellement ou que les intentions du corrupteur n’étaient pas, à l’origine, de nature frauduleuse. On peut toutefois dire que la corruption est l’utilisation et l’abus de pouvoir à des fins privées. C’est une pratique illicite traitée dans les articles 144 et 146 du Code pénal gabonais.
La notion comporte de nombreux autres aspects, ainsi que le démontre la Banque mondiale qui retient les formes suivantes de corruption :
- Les “dessous de table” qui sont des versements à des responsables officiels afin qu’ils agissent plus vite, de façon plus souple et plus favorable ;
- La “fraude” qui consiste en la falsification de données, de factures, la collusion etc. ;
- “L’extorsion” qui est l’obtention d’argent par la coercition ou la force ;
- Le “favoritisme” qui s’inscrit dans le cadre du népotisme ou de la collusion et qui consiste à favoriser des proches ;
- Le “détournement”, défini comme le vol de ressources publiques par des fonctionnaires ;
Même si on la rencontre dans tous les secteurs de la société et à tous les niveaux, la corruption a pour lieu d’élection l’administration publique.
Pour illustrer ce qui précède, Alain O, entrepreneur, assure par exemple que “la procédure de règlement par le Trésor public d’une facture nécessite au préalable de nombreux visas délivrés au ministère des Finances. Il faut, à chaque étape donner un peu d’argent à celui qui doit apposer le cachet et la signature. Faute de quoi, votre facture se retrouve bloquée. Cette pratique s’est institutionnalisée et il est devenu normal sinon obligatoire de glisser quelques billets dans le dossier pour le voir passer les différentes étapes. Cet argent ne va nulle par ailleurs que dans les poches du fonctionnaire à qui on le donne.”
La corruption peut donc concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, etc.
Siméon Ekoga, président du Rassemblement Démocratique du Peuple Gabonais (RDPG) affirme que “la passation de marchés publics se passe de façon occulte, sans autre forme de procédure. Et certains élus qui sont souvent associés à ces dossiers, à l’instar des grands travaux ne sont pas exempts de tout soupçon bien au contraire, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère.”
Corruption passive et corruption active
On distingue la corruption active de la corruption passive. La corruption active consiste à proposer de l’argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d’un avantage indu. On n’en voudra pour exemple que les taximen qui refusent de se conformer à la réglementation en matière de transport en commun qui, pour éviter la fourrière, proposent aux policiers, à chaque contrôle, un petit billet. Mais, il en va de même pour le policier qui, ayant constaté une infraction, demande “quelque chose” pour laisser le taxi circuler.
La corruption passive consiste à accepter l’argent, mais aussi à proposer ou à créer des conditions de paiement. Un exemple classique au Gabon est celui des présentateurs de télévision qui acceptent quelques billets de 10 000 francs en vue de recevoir sur leur plateau des gens qui tiennent vraiment à y passer ou encore des journalistes qui acceptent “l’argent du taxi” qui les obligera à traiter et publier un reportage.
Parfois la corruption est à la fois active et passive. A cet effet, l’exemple de la fiche bleue, qui permet l’introduction d’un dossier d’intégration à la Fonction publique, fera foi. De nombreuses personnes affirment l’avoir acheté alors qu’il s’agit d’un formulaire non payant. Ceux des fonctionnaires qui sont censés la fournir aux requérants en déclarent la pénurie afin de la monnayer. Au-delà de la vente de fiche bleue, le ministère de la Fonction publique est le théâtre de la corruption aussi bien passive qu’active.
Une secrétaire à la Primature s’est dernièrement plaint de ce qu’une de ses connaissances à ce ministère s’était accaparé son dossier d’avancement en vue de lui extorquer de l’argent. “Je ne lui avais rien demandé. Il m’avait simplement vu dans les couloirs du ministère et a fini par savoir que j’y avais introduit un dossier. A ma grande surprise, il m’a téléphoné pour me dire qu’il a récupéré le dossier pour m’aider à accélérer la procédure. En réalité, il l’a mis sous son coude pour me faire croire à quelques difficultés et au bout d’un certain temps, il me harcelait au téléphone pour que je “paye le Coca” à son collègue qui, soi-disant, bloquait mon dossier et qui n’était autre que lui-même. Je me suis résignée à lui donner 20 000 francs pour qu’il ne me complique pas davantage les choses.”
Panorama de la corruption au Gabon
Abus de biens sociaux, détournements de fonds, enrichissements personnels, emplois fictifs ou délits d’initiés sont les formes de corruption les plus répandues aujourd’hui et la liste de personnalités politiques ou publiques condamnées ou mis en examen s’allonge au fil du temps : Hervé-Fulgence Ossami, Ngoleine Ossouka, Alain-Claude Billié Bi Nzé, Minko mi Esonne…
Devant cette avalanche d’“affaires”, l’opinion publique gabonaise fait dans l’ironie avec des phrases du genre “le mouton broute là où il est attaché. Mais il ne faut pas brouter la corde” ou verse dans la résignation à travers les “on va encore faire comment. C’est eux-mêmes eux-mêmes”. Il est aussi vrai que depuis l’ouverture démocratique intervenue en 1990, la presse n’a pas arrêté de mentionner ou de dénoncer des cas de corruption mais très peu de condamnations ont été constatées. Jean-Bédel Moussoudou, substitut du procureur de la République, assure en effet que les plaintes pour corruption n’arrivent presque jamais au tribunal.
On ne saurait donc tenir un inventaire sur la condamnation de délits tels que la corruption, le trafic d’influence, l’ingérence ou la prise illégale d’intérêt. De même, les différents rapports annuels de la Cour des comptes ne font pas mention de cas de corruption.
Pourtant, la corruption gangrène aujourd’hui presque toutes les couches de la société. Selon ce qu’on peut lire de l’enquête sus-citée, réalisée par M. Florent-Georges Rerambyah, les secteurs les plus touchés par la corruption sont les organisations internationales, la Direction générale des prix, les Travaux publics et les douanes tandis que le “pourcentage à verser pour l’obtention d’un marché public est évalué de 10 à 20% voire de 40 à 50%”.
Le rapport Rerambyah relève que les principales causes de la corruption sont le faible niveau des salaires, l’impunité, l’absence de rigueur dans la gestion des comptes de l’État. Au titre des procédés généralement employés par les usagers d’une administration pour solliciter un avantage illégal, ledit rapport énumère le concours d’une relation haut placée, la recherche et l’utilisation d’une relation (ami, frère…) ou la médiation d’un agent. D’un autre côté, les agents de la fonction publique ou du secteur privé peuvent, pour obtenir un bakchich ou autre avantage, faire attendre un dossier, solliciter une récompense ou harceler sexuellement un client.
Les exemples ne manquent pas pour illustrer ces différents procédés de corruption. On pourrait commencer par l’université Omar Bongo où il a été relaté qu’en 2005, un professeur de linguistique générale à l’Université Omar Bongo exigeait à chacun de ses étudiants une somme de 2 000 francs CFA pour obtenir ses cours polycopiés qui, normalement, devaient être dictés. Ledit professeur est allé jusqu’à donner une date butoir au-delà de laquelle tout étudiant qui n’aurait pas versé cette somme devait être rayé de ses effectifs.
Le business des “petits chefs”
L’obtention ou le renouvellement de pièces d’identité, est l’un des lieux de prédilection de la corruption. Le 14 janvier dernier, Thierrey Minlame Moto, un agent du service social de la Direction générale de la documentation et de l’immigration (DGDI) a été mis aux arrêts pour avoir a été identifié comme le cerveau d’un réseau de faussaires et trafiquants de documents administratifs, notamment de passeports. Une somme de 20 000 FCFA était exigée pour le renouvellement d’un passeport, le double pour un traitement express et pour les demandes de visas et premiers établissements de passeport.
Plus récemment, de nombreux agents de la préfecture de Bitam ont été arrêtés pour falsification régulière de documents d’État-civil contre des sommes allant de 5 000 à 100 000 francs CFA.
Le 14 janvier dernier, le ministre de la Défense, Ali Bongo Ondimba, a condamné publiquement et mis en garde les agents des forces de police et les éléments de l’armée qui se laissent corrompre ou rackettent les citoyens. On recense en effet au sein des forces de l’ordre les cas de corruption les plus inédits. Il y a quelques années, par exemple, Jean-Hilaire Pambou, repris de justice récidiviste, offrit un casse-croûte et une cuite à trois gendarmes qui mirent aux arrêts une ex-amante refusant de renouer avec sieur Pambou.
Les trois maréchals de logis, Joseph Owari, Martin Mbera et Mbena Guemi, furent entendus et sévèrement punis par leur hiérarchie non sans avoir remboursé les 500 000 francs CFA qu’ils avaient dérobés lors du rapt de Claudine Mboumba, dans un domicile où celle-ci travaillait comme dame de ménage.
Un journaliste a confié à l’Agence de presse africaine (APA) que la corruption est monnaie courante dans les milieux du football gabonais. ‘‘Elle se manifeste notamment par l’achat des décisions de l’instance fédérale, le trucage des matchs.’’ En 2003, l’équipe de football Jeunesse sportive de Libreville (JSL) s’était fait payée pour se faire battre par l’Union sportive de Bitam (USB). Les joueurs avaient reçu 25 000 francs CFA chacun et les dirigeants beaucoup plus. Le scandale ayant éclaté, Albert Rismo Obiang, entraîneur de l’USB, et Brice Mondambo, son gardien des buts, durent être radiés de l’équipe.
Mais, le plus grave, est la part invisible de la corruption, celle dont la presse ne parle que rarement ou dont elle ne peut pas parler, celle qui touche uniquement les administrations publiques et l’argent des contribuables. Si les chefs d’entreprise condamnés à la prison ferme sont nombreux, on ne peut pas en dire autant des politiques ou des hauts fonctionnaires coupables des méfaits peut-être encore plus graves. Car ces derniers bénéficient de relations, sont protégés par l’immunité parlementaire et peuvent se cacher derrière l’opacité des fonds publics. Le cas du milieu scolaire
Les MST (Moyennes sexuellement transmissibles), qui participent de la corruption ont été suffisamment évoquées (Cf. Business Gabon N° 6) pour ne pas être reprises ici. Mais le milieu scolaire enregistre d’autres types de corruption. Notamment pour l’inscription des élèves dans les établissements scolaires publics trop sollicités.
Elle s’étend jusqu’à l’achat de diplômes. Durant l’année scolaire 2002-2003, de nombreux candidats au baccalauréat affirmaient qu’on “ne rate le bac à Oyem que si on n’a pas d’argent”. Un centre d’examen national y avait nouvellement été créé. Les informaticiens qui y avaient été affectés, introduisaient, en contrepartie d’argent, des noms dans les listes proclamant le succès aux examens. Ce, même au mépris du niveau requis pour l’accession à ces examens.
“Il suffisait d’être connu du Secrétaire général du ministère d’alors, Monsieur Médéné M’ekwa Félicien, ou des informaticiens, ou alors d’avoir de l’argent pour obtenir son bac même avec un niveau de 6è”, affirme un agent du ministère de l’Éducation nationale. Cette vente de diplômes n’était toutefois pas l’exclusivité de la ville d’Oyem.
D’autres centres de baccalauréat enregistrèrent les mêmes cas de corruption massive et la presse fit grand bruit de l’arrestation, en juin 2003, de MM. Rufin Ango Gwa, Albert Mouenbo, Thierry Bevam, Marc Essono, Bertrand Ndong, Fabien Obiang Abessolo, tous informaticiens alors chargés de la centralisation des résultats des différents centres d’examen du B.E.P.C à Libreville et à l’intérieur du pays. La plupart d’entre eux reconnurent durant leur interrogatoire avoir perçu, des parents d’élèves et de certains candidats libres, des sommes allant de 100 à 350 000 francs CFA.
Le coût de la corruption
Il est extrêmement difficile de savoir combien coûte la corruption à l’État gabonais. Si la Direction générale des marchés publics ne saurait dire le montant des factures concernant les marchés publics qui échappent à son contrôle, comment savoir exactement combien coûte au contribuable la corruption dans les organismes publics et parapublics ?
L’exemple du seul marché, problématique, de fourgons blindés du Trésor public, surfacturé à 3,6 milliards francs alors qu’on estime aujourd’hui leur coût réel à environ 800 millions, donne une idée de l’argent que peut perdre l’État gabonais. De même, la pratique bien connue du “10%”, oblige certaines entreprises à procéder également à des surfacturations sans lesquelles elles mettraient très vite la clé sous le paillasson.
On ne saurait évoquer le coût de la corruption politique qui n’a pas été évoquée dans le présent article, mais on sait qu’à ce niveau circulent sous la table des sommes vraiment très imposantes qui ne sont pas moins extraites de l’argent public. Quelle est la part de cet argent utilisé pour des rémunérations occultes, frais divers, enrichissement personnel ou pour des emplois fictifs tels qu’ils ont été révélés au plus fort moment de l’Affaire Elf ?
Les organismes de lutte contre la corruption
La multiplication des affaires et le mauvais classement du Gabon dans les comparaisons internationales sur le degré de corruption de chaque pays ont poussé les autorités publiques à renforcer les mesures de lutte contre ce fléau et à multiplier les services et les organismes en charge de cette lutte.
Ainsi, à part la Cour des Comptes et le ministère du Contrôle d’État, des Inspections, de la Lutte contre la Corruption et de la Lutte contre l’Enrichissement illicite qui a mis en place la Commission nationale de Lutte conte l’Enrichissement illicite et la Direction générale de lutte contre la corruption, on devrait compter sur la Direction générale de la recherche (DGR), la police judiciaire et sa hiérarchie, la magistrature. Tous ces organismes dépendent de l’État et sont financés avec de l’argent public.
L’impartialité de ces services ne saurait être remise en question mais, lorsque de plus en plus d’affaires sont liées à l’argent public et concernent les représentants des administrations, il serait souhaitable de pouvoir compter aussi sur un organe privé, indépendant, au service de la Société civile, c’est à dire des contribuables.
C’est à ce propos que les ONG telles que “On ne m’achète pas -Transparence Gabon” ou “Publiez Ce que vous Payez”, adossé à l’Initiative de transparence dans les industries extractives (EITI), sont nécessaires dans le pays et ne devraient pas être regardées comme des ennemis du Gabon. Si un contrôle permanent des pouvoirs avait existé, les scandales dont on parle actuellement au Gabon ne se seraient peut-être jamais produits.
Les formes de corruption
La corruption est définie comme le fait d’“abuser d’une charge publique à l’avantage du secteur privé, d’un particulier ou d’un groupe à qui l’on doit allégeance.” Elle se manifeste lorsqu’un agent public accepte, sollicite ou extorque un paiement, ou lorsque des agents privés offre un paiement pour contourner la loi à des fins concurrentielles ou personnelles. On répertorie quatre formes étroitement liées de corruption.
La première forme correspond au pot-de-vin et au graissage de patte. Le pot-de-vin est le paiement que demandent des agents publics (ou offert par des agents privés) en échange de faveur comme un marché public. Le graissage de patte est l’argent payé à des fonctionnaires pour effectuer le travail pour lequel ils sont déjà payés, comme la délivrance d’un permis de conduire.
Au second rang figure la petite et la grande corruption. La petite corruption est la collusion entre un fonctionnaire et un membre du public pour contourner le système à propos de transactions relativement moins importantes. Elle implique donc majoritairement des fonctionnaires subalternes. Par contre, la grande corruption correspond à la subversion du système par de hauts fonctionnaires du gouvernement, des ministres et des chefs d’État.
En troisième lieu se trouve la corruption bureaucratique. Il s’agit de l’abus de la latitude des fonctionnaires pour modifier ou contourner des règles et règlements en échange de certains avantages. Elle survient le plus souvent lorsque d’importantes récompenses et pénalités se retrouvent sous le contrôle d’un agent.
Et pour finir, la corruption politique. Il s’agit du trafic d’influence et d’autorité par des dirigeants politiques et peu même englober l’octroi de faveurs, des irrégularités dans les campagnes de financement et la fraude électorale.
Petit lexique de la compromission
Le mot “dessous-de-table” est absolument sournois, cachottier. Il s’agit en général d’une somme d’argent qui vient s’ajouter au montant officiel de la transaction et donc qui échappe à toute taxe. Lorsqu’on parle “d’arroser”, il s’agit de payer des fonctionnaires pour qu’ils ferment les yeux, qu’ils laissent faire, tandis que l’expression “graisser la patte” renvoie au geste de remplir la main. La graisse étant associée à l’idée d’argent, de profit, et par extension de profit illicite.
Comme tout ce qui est interlope, la corruption fait recours à un vocabulaire spécifique, truffé d’allusions. Petit lexique non exhaustif des expressions les plus couramment utilisées dans les actes de corruption.
Bakchich : Mot provenant de l’Empire ottoman. Est utilisé pour désigner un pourboire, un pot-de-vin.
Gilette : Par allusion à un billet tout neuf qui ressemble à une lame de rasoir. Désigne, au Gabon, un pot-de-vin à un journaliste, pour un montant compris entre 5 000 et 50 000 F CFA.
Gombo : Terme d’origine camerounaise qui désigne le fait de monnayer un service normalement gratuit.
Installation : Terme créé par les journalistes du quotidien “L’union” pour désigner un reportage ayant rapporté à son rédacteur plus de 50 000 francs CFA en pot-de-vin.
Intronisation : Également créé par les journalistes de “L’union”. Désigne un reportage alimentaire ayant rapporté 500 000 francs CFA et plus.
Mange-mille : Policier africain véreux cherchant à verbaliser à tout prix.
Mouiller la barbe : Payer un pourboire.
Payer le Coca : Également payer un pourboire.
Saluer le képi du chef : Terme employé par les policiers gabonais pour demander un pourboire à un automobiliste en règle.
Le cas particulier de la corruption judiciaire
Une enquête menée par Transparency international révèle que plus de 30% des Gabonais en contact avec le système judiciaire au cours des 12 derniers mois ont dû verser un dessous de table et que 70% des personnes sondées ont qualifié de corrompu le système judiciaire gabonais. Selon plusieurs personnes ayant compulsé le rapport 2007 de Transparency international, de nombreux exemples qui y sont donnés pourraient trouver quelques similitudes avec le Gabon.
Selon Transparency International, “la corruption judiciaire désigne toute influence indue sur l’impartialité du processus judiciaire, par tout acteur du système judiciaire.”
“Par exemple, un juge peut accepter ou rejeter des preuves pour justifier l’acquittement d’un accusé coupable mais jouissant d’une position politique ou sociale élevée. Les juges et le personnel judicaire peuvent aussi influencer les dates de procès pour favoriser l’une ou l’autre partie. Dans les pays qui n’utilisent pas les comptes rendus intégraux des délibérations, les juges peuvent donner un résumé inexact des procédures judiciaires ou déformer les déclarations des témoins avant de prononcer un verdict acheté par l’une des parties au procès. Les employés de justice de rang inférieur peuvent encore ‘égarer’ un dossier – moyennant finance”
Parlant des pots-de-vins, le même rapport spécifie que ceux-ci peuvent “intervenir à tous les niveaux d’interaction du système judiciaire : les fonctionnaires de justice peuvent extorquer de l’argent pour des tâches qu’ils sont de toute façon tenus de faire, les avocats peuvent exiger des ‘honoraires’ supplémentaires pour accélérer ou repousser une affaire ou pour orienter leurs clients vers des juges connus pour rendre une décision favorable en l’échange d’un pot-de-vin.
Pour leur part, les juges peuvent accepter des pots de- vin pour retarder ou accélérer une affaire, accepter ou rejeter une procédure d’appel, influencer d’autres juges ou, simplement, trancher une affaire dans un sens donné. Les études menées en Inde et au Bangladesh rapportées dans cet ouvrage montrent bien que les renvois interminables de certaines causes poussent les gens à payer des pots-de-vin pour accélérer leur dossier.”
Quand les accusés ou les justiciables doutent déjà de l’honnêteté des juges et de la procédure judiciaire, ils sont beaucoup plus susceptibles de soudoyer les fonctionnaires de justice, les avocats et les juges pour parvenir à leurs fins.
NOS SOURCES
- Actes du séminaire atelier de lancement de l’étude sur le “Programme national de gouvernance et de lutte contre la corruption”
- Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI)
- Direction générale de la lutte contre la corruption
- PNUD Gabon
- Représentation de la Banque mondiale au Gabon
- Transparency international
- “Publiez Ce Que Vous Payez” - Gabon
- Transparence Gabon - “On ne m’achète pas”
- Archives du quotidien “L’union” (2003-2007)
- Archives du journal “La Griffe” (1996-2000)
- Archives du journal “N’ku’u le messager” (2005)
Source : Gaboneco
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