Par Constance JAMET, le 06/07/10
L'ex représentant de la France au Sénégal, Jean-Christophe Rufin, accuse Claude Guéant et les lobbys de tenir les rênes de la politique africaine de la France. Niant être marginalisé, Kouchner déplore des propos nourris par la «haine».
Evénement rarissime, la diplomatie française expose ses rancœurs sur la place publique. Bernard Kouchner et l'écrivain Jean-Christophe Rufin, ex-ambassadeur au Sénégal, se livrent depuis le début du mois à un règlement de comptes via interviews interposées. Le lauréat du prix Goncourt a ouvert les hostilités, aussitôt sa liberté de parole retrouvée. Sur les ondes d'une radio sénégalaise, il a accusé dimanche le secrétaire général de l'Elysée d'avoir dépossédé le Quai d'Orsay de ses prérogatives en matière de politique africaine et d'avoir ressuscité la Francafrique. Claude Guéant «est très influent sur les questions africaines et le ministère des Affaires étrangères est complètement marginalisé», a regretté Jean-Christophe Rufin, qui a quitté son poste fin juin après des mois de tensions avec le président sénégalais Abdoulaye Wade.
Nicolas Sarkozy «n'est pas très impliqué sur les questions africaines», a poursuivi l'auteur de Rouge Brésil. Le président «a laissé une certaine marge de manœuvre à ses collaborateurs…» alors même que Claude Guéant est «un préfet et n'est pas forcément un connaisseur de l'Afrique», assène Jean-Christophe Rufin. «Mais bon, le Zambèze et la Corrèze, ce n'est pas tout à fait la même chose». Des critiques que l'ancien diplomate a réitérées, mot pour mot, dans Le Monde de mardi. En enfonçant le clou : Claude Guéant «agit d'autant plus librement qu'il n'est responsable ni devant l'Assemblée, ni devant le gouvernement».
Kouchner : «J'espère qu'il ne s'étouffera pas de haine»
Autre responsable de l'évincement du Quai d'Orsay, les réseaux d'influence africains. Des «lobbyistes rétribués ou sous contrat ou en amitié avec des chefs d'Etat africains essaient d'influencer la politique française. Je pense qu'ils ont trop de place», s'inquiète le romancier, pour qui la France «risque de manquer une chance historique de transformer sa relation avec l'Afrique». «D'un côté il y a un ministère, qui sert de vitrine people et morale et de l'autre une realpolitik faite par derrière par d'autres. Le Quai d'Orsay est sinistré. Les diplomates sont dans le désarroi le plus total car ils ne se sentent pas défendus», conclut Jean-Christophe Rufin.
Ces tirades à répétition ont fait bondir le principal intéressé. «De qui parlez-vous ? Ah, l'homme que j'avais nommé, qui n'était pas ambassadeur, et qui n'est pas content que je ne lui téléphone pas alors qu'il a demandé lui-même à partir...», a ironisé lundi Bernard Kouchner. «Maintenant qu' il se mette à bouder, je trouve cela un tout petit peu particulier mais j'ai un peu l'habitude avec lui», a-t-il continué avant de tourner en dérision le dernier roman de l'Académicien, Katiba qui a pour héroïne une employée du Quai d'Orsay. «Il n'a pas l'air mécontent de s'alimenter à la bonne source». Interpellé à l'Assemblée nationale, Bernard Kouchner s'est montré mardi encore plus dur. «J'espère qu'il ne s'étouffera pas de haine (...) On n'est jamais trahi que par les siens», a-t-il lancé.
L'ancien French doctor traverse une zone de turbulences. Les remontrances et les déclarations alarmistes fusent de toute part. «L'instrument est sur le point d'être cassé, cela se voit dans le monde entier», se sont émus ses prédécesseurs, Alain Juppé et le socialiste Hubert Védrine dans une tribune au Monde, où ils ont appelé à arrêter «l'affaiblissement sans précédent (des) réseaux diplomatiques et culturels de la France».
Source : Le Figaro.fr (du 07 juillet 2010)
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