lundi 28 septembre 2009

Le paradoxe de la démocratie

E lections volées en Iran, controversées en Afghanistan et caricaturées au Gabon : les derniers scrutins en date dans ces pays comme dans beaucoup d’autres ne reflètent pas tant l’avancée de la démocratie dans le monde mais plutôt l’absence d’un Etat de droit.
D’une part, les élections menant à un résultat illibéral, voire au despotisme, ne sont évidemment pas un phénomène nouveau. Après tout, Hitler est arrivé au pouvoir en Allemagne en 1933 après des élections libres, équitables et compétitives. D’autre part, les élections problématiques représentent un défi tout particulier pour l’Occident, qui est à la fois porteur d’un message démocratique universel et victime d’un impérialisme passé qui sape la force et l’utilité de son message.
Ainsi, dans un célèbre essai de 2004, l’auteur d’origine indienne Fareed Zakaria dépeint le danger de ce qu’il appelle «la démocratie illibérale». Selon lui, les Etats-Unis ont dû soutenir un leader modéré tel que le général Pervez Musharraf au Pakistan, en dépit du fait qu’il n’avait pas obtenu le pouvoir par les urnes. Il fallait en revanche, d’après lui, s’opposer au président populiste du Venezuela, Hugo Chávez, pourtant élu de manière légitime.
Dans notre village planétaire, le divorce potentiel entre les élections et la démocratie a pris une nouvelle dimension. A l’heure des communications instantanées et de l’accès à l’information, plus un régime est illégitime, plus la tentation est grande de manipuler, si ce n’est de fabriquer, le résultat des élections. La «tendance» est de manufacturer une victoire significative mais point trop massive. Les despotes d’aujourd’hui considèrent de manière quasi unanime une victoire électorale à la soviétique comme vulgaire et démodée.
Or, depuis que les forces d’opposition se sont décidées à invalider les machinations du parti au pouvoir, ce phénomène revêt un nouvel aspect. Face à ce double procédé illégitime, l’Occident se retrouve souvent, entre deux chaises, condamné à essuyer des critiques, quel que soit le résultat. Ceux au pouvoir, comme en Iran, accusent les gouvernements occidentaux de soutenir l’opposition, tandis que l’opposition les accuse de soutenir le gouvernement, comme c’est le cas de la France et du Gabon.
Mais quelle leçon retenir de la nature désordonnée inévitable du déroulement des élections dans les pays où la classe moyenne est absente, ou à l’état embryonnaire, et où la culture démocratique est, au mieux, à ses babutiements ?
Il est temps pour l’Occident de réaffirmer ses politiques de manière fondamentale. Il ne peut passer de l’«activisme» à l’abstention d’un moment à un autre. Le refus d’agir est aussi, après tout, un choix politique.
Certes, l’isolationnisme est une option très tentante, qui va d’ailleurs croître dans les mois et les années à venir. Mais l’Occident ne dispose ni du droit moral ni de la possibilité stratégique de se replier dans une «tour d’ivoire», chose qui n’existe pas dans la plupart des cas. Il est par exemple impossible de déclarer à l’Afghanistan: «Vous nous avez profondément déçus, donc vous allez désormais régler vos problèmes entre vous». En Afghanistan, au Gabon, en Iran, au Pakistan, et partout ailleurs, les intérêts fondamentaux de l’Occident sont en jeu.
Le danger, en Afghanistan, est que ce pays redevienne un paradis pour les terroristes. Le risque en Iran c’est un régime encore plus hostile, équipé de l’arme nucléaire. Au Gabon, la priorité pour la France est de transcender le néo-colonialisme sans pour autant perdre ses liens capitaux avec cette nation africaine riche en réserves pétrolières.
Mais l’Occident doit aussi, en poursuivant ces objectifs ardus, être honnête quant à ses ambitions et ses méthodes. La démocratie est un objectif légitime, à long terme. A moyen terme, l’absence d’Etat de droit représente le problème le plus sérieux pour les pays en question.
La télévision française a récemment diffusé un reportage effarant sur Haïti, où un juge local, sans prendre la peine de dissimuler ses actions, protégeait un revendeur de drogue de la patrouille anti-drogue nationale formée par la France. La corruption dévore une société de l’intérieur, détruisant la confiance que les citoyens peuvent avoir dans un avenir fondé sur le sens partagé du bien commun.
Le fait que l’Occident accepte la corruption - ouvertement ou tacitement - le rend complice de bien trop de régimes malfaisants et rend ses épousailles avec ses principes démocratiques hypocrites ou contradictoires. Toutefois, placer la barre des normes de l’Etat de droit trop haut peut aussi échouer. Un Etat incorruptible à parti unique comme à Singapour, s’attachant à moderniser la société, est probablement un objectif trop ambitieux pour la plupart des régimes non-démocratiques.
La distance qui sépare l’Occident des pays reposant sur des élections fictives n’est pas seulement géographique, religieuse ou culturelle, elle est aussi chronologique. Leur «temps» n’est pas, n’a jamais été ou n’est plus identique à celui de l’Occident. Comment peuvent-ils être compris sans être jugés, aidés sans être humiliés par notre paternalisme, ou, pis encore, sans subir de «dommages collatéraux» comme en Afghanistan ?
Le statut de l’Occident dans le monde de demain dépendra principalement de sa réponse. Il ne peut plus se permettre d’éluder la question.

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